Le cercle de math : une animation organisée par l’Université de l’Utah pour les élèves de l’enseignement secondaire
Renzo Cavalieri & David Hartenstine, Math Circle, An Outreach Program at the University of Utah, in Focus, The Newsletter of the Mathematical Association of America, January 2005, Vol. 25 number 1.
Vertical Integration of Research & Education
Traduction de l’anglais par Charlotte Bouckaert, UREM ULB
Le 10/04/05
Le cercle de math de l’Université de l’Utah est un programme de deux heures par semaine pour des élèves de l’enseignement secondaire supérieur (et certains élèves du secondaire inférieur). Les participants ont l’occasion d’aborder des mathématiques intéressantes ou des sujets plus avancés qu’ils ne verraient normalement pas à l’école secondaire et qu’ils ont l’occasion d’explorer en travaillant sur des problèmes avec des étudiants et des doctorants de la Faculté.
Dans le cercle de math, on évite les conférences ou les cours, et l’on développe les mathématiques grâce à l’exploration, la découverte et la discussion. Renzo Cavalieri est un doctorant de l’Université de l’Utah tandis que David Hartenstine vient de terminer un contrat post-doctoral dans la même université. Chacun de nous a contribué à l’élaboration et la mise en œuvre sous la direction d’un coordonnateur de la Faculté. Pour l’instant, Peter Trapa et Nick Korevaar occupent ce poste.
Le cercle de math de l’Utah est né en octobre 2001 dans le cadre des animations du programme VIGRE de notre département. L’implication des étudiants, doctorants et docteurs de notre Faculté dans le travail avec les élèves du secondaire montre l’intégration verticale qui est au cœur du programme VIGRE. (Pour plus d’informations sur le programme VIGRE en Utah, consulter le site (http://www.math.utah.edu/vigre/ )
L’idée de ces interactions mathématiques entre des élèves du secondaire et des mathématiciens ne revient pas à l’Utah. Le premier cercle de math s’est réuni en Hongrie dans les années 1800 et de nombreux cercles de math ont été établis à différents endroits dont Berkeley et Harvard. Ces programmes ont beaucoup influencé le développement du cercle de math de l’Utah.
Le premier objectif du cercle de math est de susciter et de cultiver l’intérêt pour les mathématiques chez de jeunes élèves. Le programme crée aussi un lien entre les écoles secondaires et notre département. Certaines des sessions et activités du cercle de math ont été utilisées avec succès par des professeurs du secondaire dans des clubs de math de ces écoles.
Nous sentons que le programme a réussi à créer un terrain favorable pour les élèves du secondaire qui ont un esprit mathématique. Les réactions des élèves lors des évaluations ont été uniformément positives. Beaucoup des participants au cercle de math se sont inscrits au programme d’été organisé par notre département. Plusieurs des membres du cercle de math se sont inscrits pour un major en mathématiques ou un sujet voisin à l’Université de l’Utah ou ailleurs.
Que fait-on au cercle de math ?
Comme exemples des sujets abordés on peut mentionner : la géométrie hyperbolique, les courbes algébriques, la théorie des groupes par le biais du cube de Rubik et la sélection génétique. On peut trouver une liste complète des sujets abordés ainsi que des notes détaillées de la plupart des sessions à l’adresse web http://www.math.utah.edu/mathcircle/ . La plupart des directeurs de session (en général, des membres de la Faculté, mais parfois des doctorants) dirigent deux sessions consécutives sur un même sujet. Ce canevas laisse assez de temps pour approfondir le sujet.
D’autre part, aussi passionnant que soit un sujet, aussi dynamique que soit un présentateur, passer trop de temps sur un même sujet ou avec un même animateur risque d’émousser l’intérêt de certains élèves . Il y a une compétition prévue à peu près toutes les 5 sessions, avec des problèmes liés aux sujets abordés lors des sessions précédentes et les meilleurs gagnent des prix d’inspiration mathématique (livres, jeux, puzzles, etc.). Ces compétitions donnent l’occasion aux élèves d’appliquer ce qu’ils ont appris et elles leur plaisent.
Les meilleurs cercles de math sont ceux où les élèves peuvent expérimenter, discuter des idées, faire des conjectures, essayer de les prouver et expliquer leurs découvertes et les solutions des problèmes à leurs pairs. Idéalement, le cercle de math se déroule dans un environnement dans lequel les élèves sont encouragés à faire leur propre exploration dans le monde mathématique.
Il n’y a pas une recette unique qui garantisse le succès d’une session, mais après plusieurs essais et erreurs, nous avons développé un schéma qui conduit le plus souvent à une session agréable et réussie. Les élèves commencent par découvrir le nouveau matériel, ensuite ils reçoivent des problèmes sur lesquels travailler, des questions sur lesquelles réfléchir, ou encore d’autres activités. Pendant ce temps, les élèves peuvent travailler en petits groupes et l’animateur et autres facilitateurs sont disponibles pour répondre aux questions, donner des pistes or poser des questions supplémentaires, et travailler individuellement avec chaque élève. Les volontaires présentent alors leurs solutions au groupe. Ensuite du nouveau matériel est présenté (basé sur les problèmes discutés) suivi par de nouvelles activités et ainsi de suite.
Par exemple, une introduction à la topologie à deux dimensions a pour but ultime de faire comprendre le théorème de classification des surfaces compactes sans bord. Le contenu mathématique est conceptuellement plus sophistiqué que tout ce que les participants ont rencontré jusque là dans leur formation. Pour qu’ils saisissent l’essence d’un tore, on a montré aux élèves le jeu vidéo « astéroïdes » dans lequel les vaisseaux spatiaux et les astéroïdes quittent l’écran sur les cotés horizontaux et verticaux de l’écran et réapparaissent du côté opposé. La mathématisation de leur expérience ludique a provoqué la curiosité et l’étonnement des élèves. Ceci a induit une grande motivation pour le travail conceptuel difficile qu’il fallait encore accomplir.
Un défi a été de définir (ou de négocier la zone qui sépare une définition rigoureuse d’une notion plus intuitive et plus floue de) une surface topologique et un homéomorphisme. On a demandé aux participants des exemples de surfaces et les présentateurs en ont ajouté d’autres et les élèves ont dû décider lesquelles étaient homéomorphes et lesquelles ne l’étaient pas. Il est alors clairement apparu que la tâche de classification des surfaces ne devait pas être sous-estimée.
Nous avons ensuite introduit le concept d’identification des côtés d’un polygone comme outil pour engendrer les surfaces. Les élèves ont utilisé des ciseaux et du papier pour construire des rubans de Möbius. Ceci a conduit naturellement à la notion de surface orientable et à un certain nombre de découvertes excitantes. Les élèves ont été surpris de découvrir qu’il existait des surfaces avec un seul côté et un seul bord.
Le ruban de Möbius fournit une mine de problèmes intéressants et accessibles ; Cette expérimentation a conduit à plusieurs conjectures. Grâce à l’identification des côtés d’un polygone, nous avons construit une bibliothèque des surfaces « familières » : la sphère, le tore, et le surprenant plan projectif. Il a fallu ensuite convaincre les élèves que toute surface compacte pouvait être représentée par un polygone. En coupant et en collant, les élèves ont pu voir que tout polygone pouvait être réduit au polygone canonique représentant une somme connexe de tores et de plans projectifs. Cette dernière partie s’est avérée difficile pour certains jeunes élèves, mais très excitante pour les plus avancés.
Comme souvent au cercle de math, l’expérience peut être enrichissante, même quand les élèves n’ont pas tous compris l’entièreté du matériel. Durant cette session, nous avons délibérément utilisé un langage informel. Nous avons même donné de nouveaux noms à certains concepts. Par exemple, nous avons rebaptisé le concept de surface non orientable en PRHS (Propriété de Réversibilité de Han Solo), à cause du fait que le vaisseau spatial du capitaine Han Solo pouvait partir en mission et revenir la position de départ la tête en bas sans avoir jamais changé la direction de son vaisseau spatial.
Nous avons aussi veillé à maintenir l’équilibre entre la rigueur mathématique et les notions intuitive. Il a fallu définir soigneusement certains termes et concepts, alors que pour d’autres, on pouvait travailler avec une idée moins précise.
Qui fréquente le cercle de math et comment fonctionne-t-il ?
Les élèves choisissent eux-mêmes d’y participer. Au début de l’année scolaire, nous envoyons une lettre aux chefs de département de mathématiques des différentes écoles de la région, aux spécialistes de l’éducation mathématique du district et aux élèves inscrits au cercle de math l’année précédente et qui sont toujours élèves à l’école secondaire. Un membre de la Faculté coordonne le programme. Il a pour tâche de planifier les sessions, de trouver des présentateurs et c’est lui qui gère les contacts officiels pour le groupe. Cette personne bénéficie d’une réduction de charge d’enseignement ( ceci représente le coût le plus important de fonctionnement du programme). Il y a au moins un autre membre du département qui forme avec le coordonnateur le noyau central de l’équipe. Ce groupe assiste à toutes les séances
du cercle de math, connaît personnellement tous les participants et assure la continuité d’un présentateur à un autre. Ils savent quand il convient d’interrompre pour proposer aux élèves de réfléchir à quelque chose ou pour mesurer la compréhension des élèves.
Il est également très utile d’associer au programme quelqu’un qui a une expérience approfondie de l’enseignement secondaire. Cette personne sait quelle matière a été vue à l’école, quels sont les thèmes qui intéressent les élèves, ce qu’ils sont capables de maîtriser mathématiquement et son point de vue complète celui des membres de la Faculté. Trois ou quatre docteurs et doctorants assistent également aux sessions du club. Ils assistent le noyau de l’équipe et le présentateur et aident les élèves quand ceux-ci travaillent individuellement ou en petits groupes. Les tâches administratives, comme, par exemple, la conception des brochures, la prise de contact avec les participants et des écoles incombent au coordonnateur du programme VIGRE.
Hormis le coordonnateur, aucun présentateur n’a dirigé plus de trois sessions par an. Changer les présentateurs permet de profiter des différents domaines d’expertise de la Faculté et aide à la sélection des thèmes. Ainsi le programme garde sa fraîcheur et ne court pas le risque de devenir un cours en plus. L’implication de nombreux membres de la Faculté permet aux élèves de bien connaître celle-ci.
Le nombre de participants varie d’une semaine à l’autre, mais il est généralement compris entre 15 et 25. Il semble qu’une vingtaine soit l’idéal. Si le groupe est trop grand, l’atmosphère cesse d’être informelle, il n’y plus assez de « facilitateurs » pour aider les élèves et le groupe devient ingérable. D’autre part, si le groupe est trop petit, c’est plus difficile d’entamer une discussion.
Observations et conclusions
Tout d’abord, il faut qu’on s’amuse au cercle de math. Cela se passe bien quand les élèves s’impliquent pendant toute la session et pas uniquement quand ils présentent une solution ou qu’ils travaillent sur un problème. Il faut choisir des activités et des problèmes qui répondent au large spectre des aptitudes et des expériences mathématiques des élèves. Certaines questions ou problèmes doivent être accessibles à tous les participants mais il faut aussi prévoir des questions pour maintenir l’intérêt des élèves les plus avancés.
Comme l’assistance varie d’une semaine à l’autre et que beaucoup d’élèves sont trop occupés à l’école avec d’autres activités pour consacrer beaucoup de leur temps au cercle de math entre les sessions, il faut rendre les sessions autonomes autant que possible. Une atmosphère informelle favorise un climat dans lequel les élèves n’ont pas peur de faire des fautes et proposent leurs propres conjectures.
Beaucoup de présentateurs ont trouvé leur participation au cercle de math très stimulante. Cela donne beaucoup de satisfaction de travailler avec un groupe d’élèves qui s’intéressent tous aux mathématiques. Les participants sont très intelligents et posent souvent des questions excellentes, inhabituelles et qui suscitent la réflexion.
Pour conclure, disons que le chemin est souvent plus important que la destination. Cela donne de grandes satisfactions de clôturer avec un résultat beau ou surprenant (comme la classification des surfaces), mais une session n’est pas réussie quand le présentateur décide d’accélérer (et sème beaucoup des participants) pour atteindre son objectif.
Renzo Cavalieri est doctorant à l’Université d’Utah et David Hartenstine vient d’y terminer un contrat post-doctoral et enseigne maintenant à l’Université de Western Wahington.
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