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Publié : 11 septembre 2007

XPO2π

Les mathématiques : bouillonnement et efficacité

Interview de Francis Buekenhout par Barbara Coeckelberghs

Les mathématiques : bouillonnement et efficacité

Que cachent les mathématiques, cette discipline qui effraie tant les écoliers ? Au cœur du Campus de la Plaine, Francis Buekenhout, professeur de mathématiques à l’ULB, nous offre son point de vue sur cette science fascinante.

ARTE news : Quelle serait votre définition des mathématiques ?

F. Buekenhout : Il existe, dans la société en général mais aussi dans le monde scientifique, un stéréotype réducteur selon lequel ‘les maths, c’est du calcul’. Les mathématiques sont, il est vrai, concernées par le calcul mais on ne peut les réduire à cette simple affirmation.

Il existe en effet deux manières d’envisager les mathématiques. La première, ‘génétique’, aborde la question du développement des choses, c’est-à-dire tout ce que l’on peut faire avec les nombres mais aussi avec les notions rudimentaires de formes (points liés, cercles, rectangles…). Ces dernières sont d’ailleurs utilisées dès le néolithique et l’on peut déjà résoudre énormément de questions grâce à ces seules notions. De nos jours, tout ce qui se rapporte aux nombres peut être introduit dans un ordinateur et faire l’objet de ‘calculs’ : la machine traite les informations et peut alors exécuter des opérations très rapidement selon un plan programmé.

Le deuxième axe de définition est de nature structurelle. On s’interroge sur la manière dont les choses sont organisées et l’on répond à ces questions en constituant des concepts et des raisonnements, grâce à l’analyse et à l’observation. On se dégage ainsi du matériel, en retenant des idées susceptibles d’être traitées par le cerveau. Les mathématiques sont en effet le résultat d’un travail individuel, mais aussi d’un travail collectif grâce à la communication. Il porte sur des informations venues de l’extérieur par voie sensorielle mais aussi de l’intérieur, du cerveau lui-même, qui permet le stockage et le traitement de celles-ci : le cerveau peut donc travailler en autonomie et produire entre autres des mathématiques. Le maître mot, c’est la structure. Comme en anatomie, il existe un squelette, c’est-à-dire une structure, qui s’enrichit et finit par constituer une science très élaborée.

An : En anatomie, on peut se référer à des images connues. Pouvez-vous nous donner une image plus tangible des mathématiques ?

FB : Voici un exemple. Découper des tranches dans une pomme de terre, c’est une action banale. Pourtant, derrière cette simple démarche apparaissent les maths : il s’agit en effet de créer des sections dans des figures mathématiques. Ce découpage comporte une portée scientifique comparable à celle que l’on trouve chez le biologiste qui examine un organisme cellulaire en y découpant des lames. Le scientifique réalise son observation grâce à un système optique qui lui procure une vision précise, en deux dimensions, sur chacune d’elles.

Les mathématiques s’inscrivent dans la direction de l’abstraction, de la constitution de concepts utilisés dans divers domaines – comme l’art, par exemple. Mais, bien sûr, la principale raison d’être des mathématiques, c’est la science ! Comme toute science, les maths font partie de la culture même si l’on a parfois tendance à les mettre à l’écart.

An : La philosophie de l’exposition XPO2PI est née d’une phrase qui affirme que ‘derrière chaque objet se cachent des sciences’. Peut-on dire que ‘derrière chaque science se cachent les mathématiques’ ?

FB : Je proposerais un autre slogan, assez approprié : ‘Il n’y a de science que du structurable.’ Pour qu’il y ait science, il faut que l’on puisse, de la réalité que cette science examine, extraire des concepts qui puissent la faire avancer. Ces concepts peuvent déjà exister, ou naître : les mathématiques constituent un monde bouillonnant et non achevé, un domaine en explosion.

La révolution informatique est d’ailleurs l’une des raisons principales de cette explosion. Elle apporte un nouvel outil de développement qui prolonge les capacités humaines dans certains secteurs et permet d’entreprendre des expériences impossibles à mener auparavant. Actuellement, l’informatique nous envahit de toutes parts : on ne fait plus guère de science qu’à l’aide de modèles mathématiques. Ceux-ci sont indispensables car ils doivent être ‘avalés’ par l’ordinateur, qui ne traite que des données dépouillées et simples obéissant à des règles de logique.

An : Quelles sont les spécificités des études mathématiques, et que représentent actuellement les cours ?

FB : Tout cela est assez proche de la pratique d’un sport. Dès qu’on y a pris goût, on y consacre de plus en plus de temps. On avance, on creuse, on revient sur des données déjà examinées qu’on regarde à la lumière de nouvelles notions ou en posant de nouvelles questions. Le moteur, c’est ça : se poser des questions ou écouter les questions que posent les ‘entraîneurs’.

Il faut également acquérir les connaissances déjà obtenues par d’autres. Le but du cours est d’acquérir l’essentiel d’une matière selon le point de vue du professeur, et de prendre connaissance de la littérature existant sur le sujet, sous toutes les formes disponibles : livres, matériel Internet…

Le matheux de tout âge doit avancer grâce à sa propre réflexion, par le traitement de l’information reçue à haute dose lors de ses études et au cours de ses lectures. Son matériel expérimental est dans sa tête. Or, on ne voit pas ce qui se passe dans la tête de quelqu’un, c’est difficile à contrôler. C’est pourquoi les mathématiques peuvent paraître ingrates, surtout pour le professeur : leurs élèves réfléchissent-ils de façon efficace ?

An : Comment devient-on mathématicien ou professeur de math ?

FB : Simplement par goût, parce que c’est quelque chose que l’on fait bien, peut-être mieux que les autres. C’est comme pour le sport, à nouveau : on peut faire carrière et gagner sa vie grâce à quelque chose que l’on aime. Les autres valorisations viennent avec le temps. On se rend compte que les mathématiques sont en route de manière très développée depuis la préhistoire. D’un point de vue social, elles sont efficaces car, grâce à leur abstraction et à leur simplicité, elles s’adaptent à beaucoup de choses. Apparaît alors un credo qui n’était pas là au début : oui, je crois aux mathématiques et à leur efficacité.

Propos recueillis par Barbara Coeckelberghs