Le 18 août 2016
Francis Buekenhout et Charlotte Bouckaert
Université libre de Bruxelles
Faculté des Sciences
Département de Mathématique
Unité de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques
Rappelons que le CE1D est une évaluation externe certificative.
« L’épreuve externe conduisant au CE1D est obligatoire pour tous les élèves de deuxième année commune ou complémentaire de l’enseignement secondaire. Depuis 2013/2014, l’épreuve externe commune au terme du premier degré de l’enseignement secondaire est obligatoire. Les questions, les consignes de passation et les critères de correction sont identiques pour tous les élèves. Elle porte sur les mathématiques, le français, les langues modernes, et à partir de 2015, sur les sciences. » (Fédération Wallonie Bruxelles 2016)
Ici, nous nous concentrons sur les mathématiques.
Plusieurs articles aux titres accrocheurs et pessimistes publiés fin juin 2016 juste après la tenue de l’épreuve et début août 2016 ont retenu notre attention et nous souhaitons réagir et apporter notre contribution au débat. Nous nous concentrerons sur deux d’entre eux :
« Le niveau en maths chute encore dans le secondaire » qui dénonce les faibles performances en mathématiques des élèves de 2e secondaire (Demonty 2016), et
« CE1D : ces tests qu’on ne peut comparer » qui souligne les failles des tests certificatifs auxquels sont soumis les élèves de la Fédération Wallonie Bruxelles
(Jallet 2016).
Qui sommes-nous ?
Francis Buekenhout professeur honoraire à l’Université libre de Bruxelles, membre de l’Académie Royale de Belgique, ancien professeur à la division africaine de l’Ecole des Cadets, auteur de multiples animations, membre fondateur de l’Unité de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques, coach de Fanny Linco, coach de Volley-Ball, moniteur de colonie de vacances pendant 10 ans, etc.
Charlotte Bouckaert chercheuse à l’Université libre de Bruxelles depuis 1992, membre fondateur de l’Unité de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques, prof de maths à la retraite.
Deux expertes ont été consultées à propos de l’épreuve du CE1B en mathématiques. Commençons par l’analyse de Marie Jaspers, chef de travaux honoraire à la Faculté des Sciences de l’Université de Liège. Elle a analysé en profondeur le test CE1B 2016 en mathématiques.
« D’après l’analyse rigoureuse des questions que j’ai menée dans un document publié en janvier dernier, les causes sont nombreuses. Il y a tout d’abord le manque de maîtrise qui relève du primaire. Il y a aussi le refus de l’étude de la théorie, qui est pourtant essentielle : comment pourrait-on effectuer un calcul algébrique si l’on ne connaît pas les règles ? On ne peut procéder par intuition. Je pense aussi qu’il y a un manque de méthode pour maîtriser les maths (ces méthodes sont pourtant mentionnées aux élèves par tous les profs de math). Quatre : la culture de la moyenne, c’est-à-dire 50%. et cinq : le passage de la première à la deuxième secondaire est automatique. Un certain nombre d’élèves ne voient pas pourquoi ils travailleraient puisque de toute façon ils sont assurés de passer en deuxième. C’est leur seul objectif. » (Demonty 2016)
Nous pensons qu’il faudrait expliciter les manques de maîtrise principaux. Parmi eux, nous voudrions relever la faiblesse généralisée au travers du secondaire en matière de fractions. Celles-ci interviennent dans tous les développements ultérieurs. Une fraction n’est pas une division. Une fraction littérale a/b ne se calcule certainement pas sans autre information. Toutes les sciences utilisent des fractions dès qu’elles sont mathématisées. Un autre manquement est l’ignorance permanente au primaire et au premier degré du secondaire de la notion d’inégalité. Trop rarement on demande pourquoi une inégalité est correcte. Les applications numériques dans la vie courante et dans les sciences sont davantage basées sur l’inégalité que sur l’égalité. Cette notion permet bien évidemment de nombreux exercices.
Concernant le refus d’étudier la théorie, nous pensons que c’est une plaie entretenue du primaire au secondaire par des professeurs qui estiment que les élèves ne comprennent pas la théorie et qu’on enseigne uniquement des exercices.
Ajoutons que la mémoire est une composante très précieuse de l’intelligence. Il ne s’agit pas de se contenter du « bête par cœur » mais plutôt de charpenter solidement des
connaissances sur lesquelles on pourra s’appuyer de manière efficace.
Le mécanisme d’inhibition des automatismes dans le processus d’apprentissage étudié par Olivier Houdé mériterait d’être plus familier des enseignants.
« Ainsi, les enseignants doivent savoir qu’il y a trois systèmes cognitifs dans le cerveau. L’un est rapide, automatique et intuitif (le Système 1). L’autre est plus lent, logique et réfléchi (le Système 2). Un troisième système, sous-tendu par le cortex préfrontal, permet l’arbitrage, au cas par cas, entre les deux premiers. C’est ce Système 3 qui assure l’inhibition des automatismes de pensée (issus du Système 1) quand l’application de la logique (Système 2) est nécessaire. » (Ansour 2014).
L’évocation par Marie Jaspers du manque de méthode pour maîtriser les maths mérite une réflexion approfondie. Il importe de passer par les socles de compétences de manière critique et de creuser davantage ce sujet. Le moins que nous puissions dire est que les maths sont une science expérimentale, physique, psychomotrice, qui se construit au sein du cerveau à tout âge. Elle est darwinienne.
À propos du « culte de la moyenne » et du passage de classe automatique, nous pensons qu’ils résultent d’une perception déviante de l’éducation dans le chef des adultes et des enfants. L’objectif n’est pas de passer de classe. L’objectif, c’est de se former dans des domaines dont l’utilité n’est pas visible, mais néanmoins indispensable. L’échec est aussi l’argument d’autorité ultime à la disposition des enseignants et certains se sentent dépossédés si on leur retire cet outil.
Nous sommes en faveur du passage de classe automatique avec des nuances. Une évaluation telle qu’elle est conçue le plus souvent établit un fossé entre élèves faibles et élèves plus avancés. Il faut craindre que ce fossé se creuse davantage et jusqu’à un point de rupture si une remédiation, une thérapie mathématique et psychologique ne se met pas en place tout de suite. On met trop souvent l’échec sur le compte du manque de travail et on abreuve les élèves en difficulté de slogans destructeurs tels « Tu n’as pas compris les règles » ou « Vas revoir la théorie ». Il faut donner une voie thérapeutique à l’enfant en difficulté plutôt qu’une sanction.
La deuxième experte consultée est Ariane Baye, professeur en Sciences de l’éducation à l’Université de Liège. Dans l’article d’Albert Jallet, « CE1D : ces tests qu’on ne peut comparer », publié le 3 août 2016 dans l’Avenir, elle déclare qu’on ne peut comparer d’une année à l’autre parce qu’on ne se donne pas les outils pour le faire.
« Cela tient à la construction même des questionnaires. Il existe des techniques connues, avec des principes d’ancrage et des questions récurrentes qui permettent de comparer. Cela est possible et se fait depuis des années dans d’autres pays, comme les Pays-Bas, par exemple. Ce n’est pas très compliqué à réaliser.C’est comme ça que les universités sont associées pour élaborer des tests en début d’année scolaire, mais elles ne le sont pas pour les épreuves certificatives … Cela m’étonne, c’est tout. Il me semble que pouvoir comparer est unequestion de bon sens. » Ariane Baye citée dans Jallet 2016.
Nous marquons notre accord avec cette déclaration.
Albert Jallet poursuit en écrivant que les tests PISA eux sont comparables. Nous
exprimerons notre opinion et nos profondes réserves sur les tests PISA dans une autre carte blanche.
Par contre, selon Albert Jallet « effectuer une lecture croisée des résultats du CEB (Certificat d’études de base qui concerne les élèves de 6e primaire) et du CE1D relève de la fiction. » Il cite Corinne De Cuyper de l’Association de parents luttant contre
l’échec scolaire :
« Il faut normer ces évaluations comme cela se fait en France ou en Finlande. Et ce, pour atténuer les différences de difficulté d’une année à l’autre et obtenir un pourcentage de réussite identique chaque année. » Corinne De Cuyper citée dans Jallet 2016.
Nous sommes en présence de la « constante macabre » d’André Antibi :
« Par “Constante macabre”, j’entends qu’inconsciemment les enseignants s’arrangent toujours, sous la pression de la société, pour mettre un certain pourcentage de mauvaises notes. Ce pourcentage est la constante macabre. » (Antibi 2007)
Francis Buekenhout dit : « J’ai toujours appliqué la devise “Pas de punition sauf exception rarissime”. J’ai toujours pratiqué la gentillesse totale, mais avec fermeté. Quand j’avais 15 ans et que je m’occupais de garçons de 14 ans, j’acceptais le conflit, mais j’avais le dessus de manière honnête et nous devenions les meilleurs amis du monde.
Je ne veux pas du terrorisme des examens. J’estime qu’il faut donner confiance à chaque élève pour ce qu’il est. Il existe des écoles où il faut suivre ou périr. Il y a un terrorisme tributaire d’une population et de la réputation de l’établissement.
Fanny Linco, élève du secondaire, dyslexique, était en dépression suite au mépris auquel elle était exposée à l’école. La lutte journalière fut de lui rendre confiance en ses moyens. On ne donne pas confiance par des examens, mais par des responsabilités bien réfléchies et bien adaptées au sujet et à l’élève.
Une base indispensable et préalable est d’ordre psychologique. L’être humain fonctionne avec des émotions. C’est avec elles qu’il faut en découdre pour entamer la lutte avec une notion mathématique. »
Nous devons aussi nous atteler aux composantes adultes de l’enseignement : les enseignants qui sont en première ligne, les parents, eux aussi en première ligne, les diverses autorités, directions d’établissements, inspecteurs, administration de service public, cabinets ministériels, les médias, …
Prenons le cas des enseignants : ils sont en première ligne. Ils sont tout à fait terrorisés par le haut (direction, inspection, administration …), par des parents, par des médias,
par des élèves eux-mêmes. Ils devraient connaître chaque élève dans ses émotions, ce qui n’est guère possible quand on a quatre classes de 28 élèves. Des profs même très dévoués, très capables, sont écrasés. Ce n’est pas un test qui les remettra à flot. Les profs sont désespérés parce qu’ils n’ont aucune latitude pour s’adapter à leurs élèves, parce que les autorités et le public (les parents) ne leur font pas confiance. Ils devraient représenter des sortes de moteurs de progrès, mais ils sont accablés d’évaluations diverses et incessantes. Les autorités et le public pensent que tout est dans les évaluations. Rappelons qu’en Finlande, longtemps citée en exemple pour ses réussites dans le domaine de l’éducation, la fonction d’inspecteur a été supprimée. Les enseignants ne sont pas un rouage dans la grande course d’obstacles vers le baccalauréat. Ils sont demandeurs de formations et acteurs dans leur établissement.
Que faire quand les élèves ne veulent pas apprendre ? Devant le manque d’envie d’apprendre des enfants, nous sommes démunis. S’ils sont demandeurs, on peut leur proposer une remédiation intelligente dans laquelle ils sont acteurs. Par exemple, le programme en ligne ALEKS qui propose un cours de remédiation en mathématiques.
« Grâce à l’apprentissage personnalisé et aux évaluations adaptées, ALEKS détermine rapidement et avec précision ce que l’élève est le plus apte à apprendre. Cette approche unique de l’apprentissage améliore radicalement les performances et la confiance de l’élève. » (ALEKS 2016), traduction de l’anglais par Charlotte Bouckaert.
En préparation
Nos vues sur les tests PISA,
Nos vues sur le plan d’excellence.
Références
ALEKS (2016). ALEKS for independent use. url : https://www.aleks.com/independent.
Ansour, Ange (2014). « Des sciences cognitives à la classe : Entretien avec Olivier Houdé ». In : Café pédagogique. url : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/03/24032014Article635312406210241782.aspx.
Antibi, André (2007). Pour en finir avec la constante macabre ou L’évaluation par contrat de confiance. Math’Adore.
Demonty, Bernard (2016). « Le niveau en maths chute encore dans le secondaire ». In : Le Soir. url : http://www.lesoir.be/1280928/article/selection-abonnes/2016- 08–02/niveau-en-maths-chute-encore-dans-secondaire.
Fédération Wallonie Bruxelles (2016). CE1D. url : http://www.enseignement.be/index.php?page=26247&navi=3057.
Jallet, Albert (2016). « CE1D : ces tests qu’on ne peut comparer ». In : L’Avenir. url : http://www.lavenir.net/cnt/dmf20160802_00860451/ces-tests-qu-on- ne-peut-comparer.
Le texte de notre carte blanche est téléchargeable en version pdf (voir icône ci-dessous).
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