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Publié : 1er septembre 2011

Pierre Cartier : "J’aime l’idée que le trésor mathématique n’est pas pour nous tout seuls"

Source : VousNousIls l’emag de l’éducation

Pierre Cartier, un des plus grands mathé­ma­ti­ciens fran­çais actuels, par­ti­ci­pera au col­loque Evariste Galois, en octobre à Paris, en tant qu’organisateur et inter­ve­nant. Il nous explique pour­quoi il a sou­haité rendre hom­mage au pro­di­gieux mathé­ma­ti­cien fran­çais et en quoi la com­mu­nauté mathé­ma­tique s’inspire aujourd’hui encore lar­ge­ment de ses théories.

Vous avez accepté d’intervenir lors de l’après-midi grand public du col­loque Evariste Galois, célé­brant le bicen­te­naire de sa nais­sance. Pouvez-vous nous expli­quer pour quelles raisons ?

Au niveau du col­loque, il y a deux par­ties : une semaine qui se passe à l’IHES, réser­vée aux spé­cia­listes des mathé­ma­tiques, dont je suis l’organisateur. Et une semaine qui suit, réser­vée aux uni­ver­si­taires, à l’Institut Poincaré. Durant cette semaine, il y aura une après-midi pour le grand public, le 26 octobre, durant laquelle j’interviens en effet.

J’aime l’idée que le tré­sor mathé­ma­tique n’est pas pour nous tout seuls. Les mathé­ma­tiques doivent pou­voir être par­ta­gées par tous : elles sont omni­pré­sentes dans notre quo­ti­dien depuis tou­jours ! Pour construire la pre­mière mai­son, il fal­lait bien faire les murs droits. Il fal­lait bien des bases de géo­mé­trie élémen­taire. Dès qu’il y a eu échanges, com­merce, il a bien fallu tenir les comptes. Il a bien fallu des calen­driers. Un savoir-faire mathé­ma­tique consi­dé­rable se déve­loppe aussi au fil du temps : pen­sons aux nombres néga­tifs, aujourd’hui une évidence pour tous. Cette notion a pour­tant été au départ très dif­fi­cile à assi­mi­ler et à com­prendre. Aujourd’hui, elle est consi­dé­rée comme évidente.

Il est pour moi impor­tant de com­mu­ni­quer sur les mathé­ma­tiques. Cela explique que j’ai eu envie de par­ti­ci­per à un événe­ment grand public.

Par ailleurs, la Société Mathématique de France, dont je fais par­tie, a décidé de s’associer à ce col­loque à l’Institut Poincaré. Cet ins­ti­tut, qui est la mai­son des mathé­ma­ti­ciens fran­çais, l’accueille tout naturellement.

Avez-vous eu au cours de votre car­rière l’occasion de ren­con­trer Evariste Galois ?

Tout le temps, et ma thèse a été très ins­pi­rée de lui, plus pré­ci­sé­ment des corps de Galois. Et il est omni­pré­sent aujourd’hui dans la recherche mathé­ma­tique en algèbre. Cette célé­bra­tion s’imposait donc dans la com­mu­nauté mathématique.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l’après-midi grand public ?

Evariste Galois est un per­son­nage abso­lu­ment remar­quable : après 1815, pen­dant la Restauration, son père, répu­bli­cain, qui était le maire de Bourg-la-Reine, a eu une vio­lente polé­mique avec le curé de la ville. Suite à cela, son père a été tel­le­ment sali et inju­rié qu’il s’est sui­cidé. Evariste Galois était répu­bli­cain et ce drame qui l’a brisé a contri­bué à faire de lui plus tard un véri­table révo­lu­tion­naire. Durant l’après-midi grand public, il y aura deux moments : une par­tie his­to­rique retra­çant la vie de Galois, et une par­tie mathé­ma­tique, dont je suis en charge. Je vais essayer d’expliquer le plus clai­re­ment pos­sible quelles sont les idées nou­velles que Galois a intro­duites en mathématiques.

Quelles sont ces idées nouvelles ?

Galois a dit lui-même qu’il avait créé une théo­rie de l’ambiguïté. Un exemple : √2 est un nombre ambigu. La seule infor­ma­tion qu’on ait sur lui, c’est que c’est un nombre dont le carré est 2. Mais il en existe un autre : c’est -√2 qui a la même propriété.

Il y a cette ambi­guïté : je ne sais pas lequel des deux je dois prendre. Les deux nombres fonc­tionnent en quelque sorte en miroir. Qu’est-ce qui per­met de les dis­tin­guer ? Un est au-dessus et l’autre au-dessous de 0. On lève l’ambiguïté ainsi. Mon inter­ven­tion s’articulera autour de la notion d’ambiguïté.

Aujourd’hui les mathé­ma­ti­ciens ont-ils fini d’explorer la théo­rie de Galois ?

Non, non, de nom­breux mathé­ma­ti­ciens planchent encore des­sus, y com­pris mon équipe et moi-même ! Un grand mathé­ma­ti­cien comme Jean-Pierre Serre le cite en per­ma­nence égale­ment. Evariste Galois était extra­or­di­nai­re­ment en avance sur son temps. L’algèbre a durant un siècle et demi ample­ment béné­fi­cié de ses décou­vertes et on est encore loin d’avoir exploré à ce jour toute la richesse de sa théo­rie. On com­mence à peine à savoir faire cer­tains de ses cal­culs grâce aux ordi­na­teurs. Mais il reste des pro­blèmes inso­lubles pour le moment.

Cette célé­bra­tion a un sens pro­fond. Il est mort à vingt ans, et pen­dant 20 ans, per­sonne n’a reconnu ce qu’il avait fait, jusqu’à ce que Liouville, un mathé­ma­ti­cien impor­tant de l’époque, publie ses articles et déve­loppe ses idées. A par­tir de là, Evariste Galois est devenu une gloire inter­na­tio­nale. De son vivant, il fut tota­le­ment incom­pris. La théo­rie des équa­tions et la théo­rie des groupes actuelles s’appuient sur lui. Et il a révo­lu­tionné abso­lu­ment l’algèbre avec la notion de groupe. C’est la notion cen­trale de toute mon acti­vité mathématique.

Sandra Ktourza